Brèves de la catégorie : Marchés publics de travaux

Une action interrompt le délai de forclusion, peu importe son fondement juridique

Dans cette affaire, un maître d’ouvrage public avait attrait des constructeurs devant le juge judiciaire, avant de demander leur condamnation au juge administratif, le premier s’étant déclaré incompétent.

Ces constructeurs avaient invoqué, avec succès, l’expiration du délai d’action du maître de l’ouvrage à leur encontre devant la Cour administrative d’appel de Douai. En effet, cette dernière avait considéré que, l’action introduite devant le tribunal de grande instance n’étant pas fondée sur la responsabilité décennale desdits constructeurs, les demandes présentées devant elle, qui reposaient sur ce fondement, étaient bel et bien irrecevables, faute d’interruption du délai d’action.

C’est cette décision que le Conseil d’Etat annule. La Haute juridiction rappelle les seules conditions que doit remplir une action en justice pour interrompre le délai de la responsabilité décennale. D’une part, il faut que cette action porte, de manière « suffisamment précise », sur les désordres dont il est demandé réparation. D’autre part, et classiquement, il faut qu’elle émane de « celui qui a qualité pour exercer le droit menacé » et qu’elle vise ceux invoquant la prescription ou la forclusion. En revanche, il n’est pas exigé que l’acte de saisine du juge précise que la demande repose sur le fondement juridique dont le délai est interrompu par cette saisine.

CE, 19 avril 2017, cnté urbaine de Dunkerque, n°395328, T.Rec

Recours prématuré d’un maître d’œuvre faute de projet de décompte final

Par un jugement du 22 décembre 2016, le Tribunal administratif de Lyon a rejeté comme irrecevable, car prématurée, la requête indemnitaire introduite par les membres d’un groupement de maître d’œuvre contre un centre hospitalier, maître de l’ouvrage.

Le motif de ce rejet tient au non-respect de la formalité procédurale tenant à la présentation d’un décompte final au maître d’ouvrage en application des dispositions combinées des articles 12.31 et 40.1 du CCAG-PI de 1978, d’une part et de l’article 6-3 du CCAP (aux termes duquel il incombait au maître d’œuvre de notifier un projet de décompte après achèvement de sa mission), d’autre part.

L’achèvement de la mission de maîtrise d’œuvre, se déduisait, au cas d’espèce, de l’interruption de la phase 2 de l’opération de construction par le centre hospitalier, de la demande indemnitaire du groupement de maîtrise d’œuvre tendant à obtenir une indemnité de résiliation, et de la procédure de désignation d’un programmiste lancée par le maître de l’ouvrage concernant les phases 2 et 3 de l’opération.

Les requérantes avaient bien tenté de se prévaloir d’une demande indemnitaire présentée avant la saisine du juge, mais sans succès, le Tribunal ayant considéré que cette demande avait été adressée avant la naissance du différend, de sorte qu’elle ne pouvait constituer un mémoire en réclamation, préalable obligatoire avant la saisine du juge.

Un vice sans lien avec l’éviction du requérant ne lui cause pas de préjudice

Il faut qu’il existe un lien de causalité entre le vice affectant le contrat attaqué et le préjudice dont se prévaut le requérant, candidat évincé. Le Conseil d’Etat l’avait déjà dit en 2013 :

« 1. Considérant que lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de l’irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu’elle est la cause directe de l’éviction du candidat et, par suite, qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l’indemnisation » (CE, 10 juillet 2013, Cie Martiniquaise de Transports, n° 362777, T.Rec)

Il ajoute, dans sa décision du 10 février 2017, qu’il « s’en suit que lorsque l’irrégularité ayant affectée la procédure de passation n’a pas été la cause directe de l’éviction du candidat, il n’y a pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction ; que sa demande de réparation des préjudices allégués ne peut alors qu’être rejetée ».

Faisant application de ces règles, la Haute juridiction considère que la cour administrative d’appel de Nancy a, à juste titre, considéré qu’il n’existait pas de lien de causalité entre le vice affectant le contrat, tenant en l’absence d’encadrement des variantes, et le préjudice invoqué par la requérante, relatif aux frais qu’elle a exposés pour remettre son offre, puisque les candidats n’avaient pas présenté de variantes, de sorte que ce vice n’a eu aucune incidence sur la sélection des candidatures et sur le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse.

CE, 10 février 2017, société Bancel, n°393720, T.Rec

Le délai de prescription d’un appel en garantie n’est pas déclenché par un référé expertise

La question de droit posée à la Haute juridiction dans cette affaire était de savoir quel est le point de départ du délai de prescription de dix ans prévu à l’article 2270-1 du code civil (applicable aux actions en responsabilité extracontractuelle), dans le cas d’un appel en garantie formé par un intervenant sur un chantier, mis en cause par le maître de l’ouvrage, contre un autre intervenant.

Il est acquis que ce point de départ correspond à la date à laquelle l’intéressé a reçu la demande dont le maître de l’ouvrage a saisi le tribunal afin de rechercher sa responsabilité (CE, 11 juillet 2008, n°285168, T.Rec). Cependant, cette recherche de responsabilité peut-elle découler d’une mise en cause dans le cadre d’un référé expertise ?

La réponse donnée par le Conseil d’Etat est négative, à défaut de caractère indemnitaire d’une telle demande.

CE, 10 février 2017, Campenon Bernard Côte d’Azur, n° 391722, T.Rec.

Pas d’irrecevabilité en cas d’introduction d’un référé provision dans le délai de 6 mois du CCAG-Travaux

Dans cette affaire, l’entreprise titulaire d’un marché de travaux avait adressé un mémoire en réclamation à la suite de la notification du décompte général de son marché. Ce mémoire avait été rejeté par décision expresse du 29 avril 2011. Dans le délai de 6 mois prévu à peine d’irrecevabilité à l’article 7.2.3 du CCAG applicable au marché, l’entreprise avait saisi le juge d’un référé provision. Plus de deux années après cette date (soit le 16 octobre 2013), elle avait également saisi le juge du fond d’une demande de condamnation au paiement du solde de son marché.

Le tribunal administratif de la Polynésie française, saisi de ces deux recours, avait fixé par jugement le solde du marché à 16 072 263 F CFP (135 061 €) et rejeté le surplus des conclusions de la société. A son tour, la Cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé contre le jugement, au motif que la contestation du décompte général était irrecevable, le juge des référés ne pouvant être regardé comme le juge compétent au sens des stipulations de l’article 7.2.3. du CCAG susmentionné.

Le Conseil d’Etat ne suit pas son analyse, qu’il considère être entachée d’une erreur de droit : puisque l’article R. 541-1 du code de justice administrative admet que le juge des référés puisse être saisi d’une demande de provision « même en l’absence d’une demande au fond », alors sa saisine doit être regardée comme la saisine du tribunal administratif compétent au sens de l’article 7.2.3. du CCAG.

CE, 27 janvier 2017, STAC, req. n° 396404, T.Rec