L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) avait conclu, en 2014, un marché public avec une société ayant pour objet la mise en place d’un progiciel ayant vocation à assurer l’ensemble des fonctions comptables, budgétaires, ainsi que de gestion des achats de l’agence.
Dans le cadre de l’exécution de ce marché, le titulaire avait été chargé de la conception ainsi que de de l’installation du progiciel en prévoyant le nombre de licences d’utilisation nécessaire selon les catégories de profil d’utilisateurs définies.
Or, il s’était avéré que les prévisions de licences du titulaire étaient inadaptées pour couvrir la réalité des besoins des utilisateurs du progiciel au sein de l’agence, c’est pourquoi le titulaire avait dû augmenter fortement le nombre de licences. L’ADEME avait refusé de prendre en charge le surcoût résultant de cette augmentation, estimant que cela ressortait de la seule responsabilité du titulaire du marché.
Dès lors, le titulaire avait informé l’ADEME de son intention de supprimer, à très brève échéance, un certain nombre de droits d’accès au progiciel en l’absence de régularisation de la situation par la signature d’un bon de commande par l’agence. Celle-ci avait donc saisi le juge des référés « mesures-utiles » (article L. 521-3 du code de justice administrative) afin qu’il enjoigne à la société de maintenir les droits d’accès jusqu’au terme normal ou anticipé du marché, à défaut, jusqu’à ce que le juge du contrat, saisi au fond, statue sur ce litige financier. En effet, lorsqu’elles ne disposent pas des moyens de le faire elles-mêmes, les personnes publiques ont été admises à exercer un tel recours à l’encontre de leurs cocontractants afin que ceux-ci soient contraints d’exécuter leurs obligations contractuelles (CE, 29 juillet 2002, Centre hospitalier d’Armentières, n° 243500).
Le juge des référés avait rejeté la demande de l’ADEME au motif que celle-ci ne revêtait pas un caractère provisoire. Toutefois, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance en relevant que le tribunal n’avait, de cette manière, pas pris compte des conclusions de l’agence formulées à titre subsidiaire visant à maintenir les droits d’accès « jusqu’à ce que le juge du fond statue ».
Puis réglant la demande en référé, le Conseil d’Etat s’est attaché à vérifier si celle-ci répondait aux exigences requises à savoir : « le juge des référés peut […] ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l’urgence, ne fasse obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse […] » (cons. 2). La précision étant faite que « les obligations du cocontractant doivent être appréciées en tenant compte, le cas échéant, de l’exercice par l’autorité administrative du pouvoir de modification unilatérale dont elle dispose en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs » (telle qu’issue de la décision CE, 3 juillet 2013, Sté Véolia Transport Valenciennes Transvilles, n° 367760).
En l’espèce, la mesure demandée par l’ADEME présentait bien un caractère provisoire dès lors qu’elle cessera à l’instant où le juge du fond statuera sur ce différend.
La Haute assemblée a considéré que la nécessité et l’urgence de la mesure étaient caractérisées dès lors que la suppression imminente de l’unique outil comptable, budgétaire et d’achats de l’agence porterait nécessairement « une atteinte immédiate au bon fonctionnement de l’ADEME » (cons. 6).
Par ailleurs, la mesure a été jugée utile puisque l’ADEME ne disposait d’aucune autre voie de droit pour faire échec à la menace de son cocontractant. Aussi, la mesure demandée a été considérée comme ne faisant pas obstacle, en l’espèce, à l’exécution d’une autre décision administrative.
Enfin, le Conseil d’Etat a jugé que la mesure ne se heurtait à aucune contestation sérieuse dès lors qu’elle découlait de l’obligation du cocontractant de maintenir les droits d’accès au progiciel peu importe que l’obligation soit stipulée dans le marché initial ou qu’elle résulte « de l’exercice, par l’administration, de son pouvoir de modification unilatérale du contrat » (cons. 2 et 8).
Ainsi, le titulaire du marché s’est vu enjoindre, sans astreinte, de maintenir l’ensemble des licences nécessaires pour couvrir les besoins de l’ADEME dans l’attente du jugement au fond de l’affaire.
L’ordonnance : CE, 7e et 2e CR, 25 juin 2018, ADEME, n°418493