Il faut anticiper les difficultés d’exécution du contrat avant sa passation

telecommunications

Un pouvoir adjudicateur danois a attribué un marché relatif à la livraison d’un système de communications complexe à un opérateur économique à l’issue d’un dialogue compétitif.

CJUE, 7 septembre 2016, Finn Frogne A/S, Affaire C-549/14

A la suite de difficultés apparues quant au respect des délais de livraison, les parties se rejetant mutuellement la responsabilité quant à l’impossibilité d’exécuter le marché tel qu’il avait été prévu, lesdites parties ont signé un protocole transactionnel aux termes duquel il a été convenu de réduire les prestations contractuelles et de régler le différend au travers de concessions réciproques.

Un concurrent évincé a formé un recours contre le protocole, qui avait fait l’objet d’une publication ex ante, en soutenant que l’économie du contrat était bouleversée par celui-ci, de sorte qu’il aurait dû être précédé d’une mise en concurrence.

La CJUE écarte l’argument tiré de l’absence de volonté délibérée des parties, et met en exergue la possibilité qu’a le pouvoir adjudicateur de prévoir, dès la passation, des modifications, mêmes substantielles du contrat, faculté qui doit être d’autant mieux utilisée, par une définition précautionneuse de l’objet du marché, que le caractère aléatoire du marché rend d’éventuelles difficultés parfaitement prévisibles.

Elle apporte donc à la question préjudicielle qui lui était posée (« L’article 2 de la directive 2004/18, lu en combinaison avec les arrêts de la Cour du 19 juin 2008, pressetext Nachrichtenagentur (C‑454/06, EU:C:2008:351), et du 13 avril 2010, Wall (C‑91/08, EU:C:2010:182), doit-il être interprété en ce sens qu’un accord transactionnel qui comporte des limitations et des modifications des prestations initialement convenues par les parties dans le cadre d’un marché ayant déjà fait l’objet d’un appel d’offres ainsi qu’une renonciation réciproque à l’exercice de moyens d’action sanctionnant l’inexécution, de façon à éviter un litige ultérieur, constitue un marché qui doit lui-même faire l’objet d’un appel d’offres dans l’hypothèse où l’exécution du marché initial se heurte à des difficultés ? »), la réponse suivante :

« Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 2 de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens que, après l’attribution d’un marché public, une modification substantielle ne peut pas être apportée à celui-ci sans l’ouverture d’une nouvelle procédure de passation de marché même lorsque cette modification constitue, objectivement, un mode de règlement transactionnel, emportant des renonciations réciproques de la part des deux parties, en vue de mettre un terme à un litige, dont l’issue est incertaine, né des difficultés auxquelles se heurte l’exécution de ce marché. Il n’en serait autrement que si les documents dudit marché prévoyaient la faculté d’adapter certaines conditions, même importantes, de celui-ci après son attribution et fixaient les modalités d’application de cette faculté ».

Il incombe donc aux pouvoirs adjudicateurs de cerner les zones d’aléa, au vu notamment des difficultés habituellement rencontrées pour le type de marché qu’ils passent, et de prévoir des clauses permettant des modifications en conséquence.

Cette décision a été rendue sous l’empire de la Directive 2004/18. Néanmoins, les cas dans lesquels des modifications peuvent être apportées aux contrats restent étroitement encadrés dans la directive 2014/24, à son article 72, qui prévoit notamment (point a), que :

« lorsque les modifications, quelle que soit leur valeur monétaire, ont été prévues dans les documents de marchés initiaux sous la forme de clauses de réexamen, dont des clauses de révision du prix ou d’options claires, précises et univoques. Ces clauses indiquent le champ d’application et la nature des éventuelles modifications ou options ainsi que les conditions dans lesquelles il peut en être fait usage. Elles ne permettent pas de modifications ou d’options qui changeraient la nature globale du marché ou de l’accord-cadre ».