Un pouvoir adjudicateur peut imposer au titulaire du marché des exigences particulières prenant en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi à condition que celles-ci présentent un lien suffisant avec l’objet du marché.
En l’occurrence, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur la régularité d’une clause, introduite dans un marché de travaux publics, visant à permettre au maître d’ouvrage d’exercer son obligation de prévention et de vigilance en matière de législation sur le travail au travers du recours à un interprète qualifié, aux frais du titulaire du marché, ce, afin qu’il puisse s’assurer que les salariés détachés ne maîtrisant pas suffisamment la langue française, comprennent effectivement le socle minimal des normes sociales s’appliquant à eux.
La Haute juridiction rappelle qu’une telle clause est susceptible de restreindre l’exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Pour être légale, et ne pas être qualifiée de manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence, il faut donc qu’elle remplisse trois conditions, rappelées par la Haute juridiction :
- Elle doit poursuivre un objectif d’intérêt général ;
- Elle doit être propre à garantir la réalisation de celui-ci ;
- Elle ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
Trois circonstances sont relevées par le Conseil d’Etat pour considérer que ces conditions sont remplies au cas d’espèce :
- La rédaction de la clause laisse présager une application raisonnable et non susceptible d’occasionner des coûts excessifs à la charge du titulaire (le Conseil d’Etat indique que la clause ne « doit » pas occasionner de tels coûts. Dans la mesure où il est fait, à ce stade de la décision, application des règles exposées ci-dessus, il est supposé que ce terme est employé dans un sens probabiliste) ;
- Elle vise à garantir la réalisation d’un objectif d’intérêt général : la protection sociale des travailleurs du secteur de la construction, en permettant de rendre effectif l’accès de personnels peu qualifiés à leurs droits sociaux essentiels ;
- La clause est appliquée au cas par cas, c’est-à-dire en fonction des besoins réels de recours à des interprètes compte tenu de la maîtrise de la langue par le personnel employé sur le chantier, ces besoins étant satisfaits par un simple entretien oral avec lesdits interprètes, de sorte qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt général poursuivi.
Dans son communiqué sur cette décision, le Conseil d’Etat prend soin de relever que les « clauses d’interprétariat » ne doivent pas être confondues avec les clauses dites « Molière », qui visent à imposer l’usage exclusif du français sur les chantiers.
CE, 4 décembre 2017, ministre de l’intérieur, Req. n°413366, T.Rec