Contrainte exercée sur une personne publique en cours de marché : « à malin, malin et demi »

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Dans cette affaire, un syndicat mixte, exploitant d’un aéroport à la Réunion, avait confié un marché de prestation de surveillance des passagers et des bagages à une entreprise. En cours de contrat, cette dernière a considéré que l’équilibre du contrat avait basculé en sa défaveur, et elle a prétendu résilier le marché de ce fait, en se fondant sur des stipulations du CCAP. Contraint d’assurer la continuité du service public et faute de prestataires locaux susceptibles d’assurer les prestations, le Syndicat mixte a dû se résoudre à payer les prestations au titulaire du marché, plus du double de ce qui avait été initialement arrêté.

CAA Bordeaux, 15 juillet 2016, société ASA Réunion, Req. n° 15BX04090

Cependant, en fin de marché, le Syndicat a émis un titre exécutoire pour récupérer ce surplus, par compensation. C’est dans le cadre du contentieux sur le titre émis que les droits contractuels de chacun vont être analysés et déterminés.

Le tribunal administratif de la Réunion avait rejeté l’opposition formée par la société de surveillance contre le titre de recettes.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux, dans une première décision, avait, au contraire, annulé le titre et notamment estimé que la créance du Syndicat était infondée. Son raisonnement, à ce titre, avait été le suivant : compte tenu du refus d’exécution des prestations par le titulaire, le Syndicat était parfaitement en droit de résilier le marché aux frais et risques de celui-ci et de confier un marché de substitution à un tiers. Il n’a pas fait ce choix. Certes, le Syndicat soutient qu’il y a été contraint par l’absence de prestataires alternatifs, mais il aurait alors dû, en application de l’exigence de loyauté des relations contractuelles, informer le titulaire qu’il avait l’intention de récupérer les majorations convenues en fin de marché.

Le Conseil d’Etat a censuré la fin de ce raisonnement dans une décision du 7 décembre 2015, n° 382363 : la Cour a commis une erreur de droit en annulant ce titre pour méconnaissance du principe de loyauté des relations contractuelles. En effet, ce principe « n’impose pas à la personne publique d’informer préalablement son cocontractant des mesures d’exécution du contrat qu’elle entend prendre ». 

La Cour, statuant de nouveau sur renvoi du Conseil d’Etat, inverse radicalement le sens de sa précédente décision.

Tout d’abord, la Cour estime, contrairement à ce qu’elle avait considéré dans sa première décision, que le titre est régulier, et notamment qu’il est suffisamment motivé, dans la mesure où il était accompagné d’un courrier contenant un tableau comparant les sommes payées, les sommes dues en application du marché et, en conséquence,  les sommes que doit restituer l’entreprise, par mois d’exécution.

Puis, la Cour considère qu’en l’espèce, l’entreprise ne tirait du contrat aucun droit à résilier celui-ci et qu’elle ne pouvait davantage se prévaloir d’un cas de force majeure.  L’entreprise devait donc exécuter le marché jusqu’à son terme, quitte à demander une indemnisation supplémentaire du fait de sujétions imprévues qu’elle aurait rencontrées.

La Cour considère ensuite que la collectivité n’a pas accepté (ou «marqué son accord », nous dit la Cour) la résiliation décidée irrégulièrement par l’entreprise, d’une part, ni l’augmentation de prix, tout aussi irrégulièrement imposée par celle-ci, d’autre part.

La Cour reconnait, en conséquence, le droit du Syndicat de rétablir la stricte application du contrat une fois, en somme, que la contrainte a cessé de s’exercer sur lui, en opérant « le rappel » de l’indemnisation supplémentaire versée, dont il n’a pas renoncé à contester le bien-fondé.

Après avoir reconnu à l’entreprise le droit de réclamer des sommes au titre des sujétions imprévues, la Cour considère que les conditions d’une indemnisation sur ce fondement ne sont pas, en l’espèce, réunies. Sa position sur ce point peut surprendre : parmi ces conditions, la Cour compte le bouleversement de l’économie générale du marché, alors que ce dernier avait, semble-t-il, été conclu à prix unitaires.