Limites qui s’imposent au juge dans son pouvoir de modulation des pénalités

penalites-juge

Depuis la décision du Conseil d’Etat, OPHLM de Puteaux, du 29 décembre 2008 (Req. n° 296930, Rec), il est admis que le juge, par application des principes dont s’inspire l’article 1152 du code civil, module les pénalités appliquées dans le cadre d’un marché, si celles-ci s’avèrent manifestement excessives, ou, au contraire, dérisoires.

La mise en œuvre de cette solution a donné lieu à des applications diverses par les juges du fond, notamment s’agissant des modalités d’appréciation du caractère manifestement excessif ou, plus rarement, dérisoire des pénalités. A titre d’exemples, ont été prises en compte les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’exécution du chantier (CAA Bordeaux, 28 juin 2013, Req. n° 12BX00321), le préjudice d’image subi par le maître d’ouvrage du fait des retards (CAA Paris, 11 février 2014, société Ansaldobreda SPA, Req. n° 12PA04995), ou encore l’attitude des parties (CAA Bordeaux, 25 avril 2016, société AB Services, Req. n° 14BX00073). Le plus souvent, la motivation est assez succincte et la solution essentiellement fondée sur le montant du marché.

Le Conseil d’Etat, dans une décision de principe, publiée au recueil Lebon, a précisé ce que sont les modalités de modulation des pénalités.

Dans cette affaire, la Cour administrative d’appel de Paris avait modéré le montant des pénalités appliquées au titulaire du marché de travaux, qui représentait initialement 61,15 % du montant de ce marché, en ramenant ces pénalités à 210.000 €, soit 25 % de ce montant. Elle s’était uniquement fondée, pour ce faire, sur les « conditions dans lesquelles s’est déroulée l’exécution du marché ».

Le Conseil d’Etat estime que la Cour a ainsi commis deux erreurs de droit.

Il pose, au préalable, les règles qui doivent gouverner l’appréciation des juges en la matière :

« 4. Considérant que les pénalités de retard prévues par les clauses d’un marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu’est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d’exécution contractuellement prévus ; qu’elles sont applicables au seul motif qu’un retard dans l’exécution du marché est constaté et alors même que le pouvoir adjudicateur n’aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi ;

5. Considérant que si, lorsqu’il est saisi d’un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat, il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l’ampleur du retard constaté dans l’exécution des prestations ».

Le raisonnement se fait donc en deux étapes.

Tout d’abord, il incombe au juge d’apprécier le caractère excessif (ou dérisoire) des pénalités, et il est précisé que ce caractère ne doit être retenu que de manière exceptionnelle.

A ce stade, deux catégories de circonstances doivent, notamment, fonder la solution retenue :

  • Les pratiques observées pour des marchés comparables ;
  • Les caractéristiques particulières du marché en litige.

En effet, un niveau élevé de pénalité traduit souvent une attente forte en matière de respect des délais, le plus souvent légitimé par des exigences de continuité du service public, de bon fonctionnement des services du pouvoir adjudicateur, ou encore des contraintes de sécurité.

L’argumentation du demandeur, autrement dit du cocontractant, doit donc s’articuler autour de ces deux points.

Ensuite, s’il considère que les pénalités sont excessives, le juge doit apprécier dans quelle proportion il convient de les modérer, la modulation ne portant que sur la part manifestement excessive desdites pénalités.

Ce sont alors d’autres circonstances qui sont prises en considération :

  • Le montant du marché ;
  • L’ampleur du retard constaté.

Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat reproche à la Cour d’avoir modulé les pénalités sans s’être préalablement assurée de leur caractère manifestement excessif au regard notamment des pratiques observées pour des marchés comparables ou des caractéristiques particulières du marché en litige.

Ensuite, la Cour a commis une seconde erreur de droit en réduisant les pénalités sans avoir vérifié le quantum du préjudice subi par le maître d’ouvrage, dans la mesure où ce dernier soutenait que le montant des pénalités était inférieur au montant de ce préjudice. Il peut être supposé que cette circonstance est opposable par la personne publique au titre de l’appréciation à porter sur l’ampleur du retard constaté, donc au second stade de l’analyse.

En d’autres termes, si un contractant se prévaut du caractère excessif des pénalités appliquées, la personne publique a tout intérêt à faire, en défense, la démonstration du préjudice qu’elle a réellement subi, afin de circonscrire la part de ces pénalités qui pourrait être jugée manifestement excessive, ce préjudice constituant, en cas de mise en œuvre du pouvoir de modulation, le montant plancher des pénalités. Dans l’hypothèse dans laquelle le pouvoir adjudicateur parviendrait à démontrer que son préjudice est supérieur au montant des pénalités, les pénalités ne donneraient donc pas lieu à une modulation effective.

CE, 19 juillet 2017, centre hospitalier interdépartemental de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Req. n° 392707, Rec.