Nouveau et immédiat recours des tiers tendant à ce qu’il soit mis fin à un contrat public

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L’œuvre de refonte totale des recours en matière contractuelle, commencée en 2007 avec la décision Tropic Travaux Signalisation, connait une nouvelle étape.

En effet,  par une décision du 30 juin 2017, le Conseil d’Etat a admis la possibilité, pour le tiers d’engager un nouveau type de recours à l’encontre des décisions de refus de résiliation des contrats. La Haute juridiction a précisé à cette occasion quels étaient les tiers recevables, et a également déterminé les moyens opérants au soutien de ce recours.

Sur les requérants admis à se prévaloir d’un tel recours

Deux catégories de requérants peuvent initier ce nouveau recours.

D’une part, les tiers lésés, au sens de la décision Département Tarn-et-Garonne (CE, 4 avril 2014, Département Tarn-et-Garonne, n° 358994, Rec), tant par la décision de refus de mettre fin au contrat que par les moyens soulevés, qui doivent être en rapport direct avec l’intérêt lésé. Au cas d’espèce, il est considéré que la simple invocation de la qualité de concurrent direct ne suffit pas à démontrer cette lésion.

D’autre part, concernant les contrats conclus par des collectivités territoriales, les « tiers privilégiés » qui avaient été identifiés dans cette même décision, autrement dit, les élus de la collectivité concernée et le préfet. Ces requérants n’ont pas à démontrer une telle lésion.

S’agissant des moyens invocables au soutien d’un tel recours, ils sont de trois ordres

En premier lieu, ils peuvent être tirés de ce que la personne publique contractante « était tenue de mettre fin à l’exécution du contrat de fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours ». On peut penser, par exemple, à la limitation de principe à une durée de 20 ans qui s’impose dans le domaine des concessions d’eau potable, d’assainissement, d’ordures ménagères et autres déchets et prévue désormais à l’article 34 II de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 sur les concessions.

En deuxième lieu, il peut être soutenu que le contrat est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office.

Une brèche parait donc être ouverte pour permettre au tiers qui n’aura pas exercé un recours Dpt Tarn-et-Garonne dans les temps, de revenir sur les modalités de la passation du contrat (ou d’un de ses avenants), à condition que le vice soulevé revête une particulière gravité. En effet, dans la décision dite Béziers I du 28 décembre 2009 (CE, Ass., 28 décembre 2009, cne de Béziers, n° 304802, Rec), relative aux recours entre contractants, puis Dpt Tarn et Garonne, le Conseil d’Etat a limité les moyens soulevables d’office aux cas dans lesquels le contenu du contrat est illicite ou dans lesquels le vice est d’une particulière gravité au regard des conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.  Dans le cadre de ces deux recours, ces vices d’une particulière gravité conduisent, sous certaines réserves, à l’annulation du contrat.

Dans sa décision du 10 octobre 2012 (CE, 10 octobre 2012, cne de Baie-Mahault, Req. n° 340647), le Conseil d’Etat avait limité les cas d’invocation de manquements aux règles de passation, par les parties contractantes ou d’office par le juge, aux cas d’illégalité les plus graves ou au regard des circonstances dans lesquelles l’illégalité avait été commise. Il avait ajouté, dans sa décision du 29 septembre 2014, société Grenke location (Req. n° 369987), que ces circonstances devaient être directement liées au vice de passation retenu. Ces précisions seront peut être transposées, avec des aménagements, dans le cadre du nouveau recours de tiers.

Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat écarte les moyens soulevés, qui semblaient uniquement tirés de simples illégalités de la procédure de passation du contrat, en considérant qu’ils étaient inopérants.

En troisième et dernier lieu, le tiers peut se prévaloir, de ce que « la poursuite de l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général », plus précisément ce moyen concerne les cas d’inexécution des obligations contractuelles par les contractants qui « compromettent manifestement l’intérêt général ».

Le Conseil d’Etat précise également que d’autres moyens sont inopérants dans le cadre de ce recours : ceux tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise.

Le nouveau recours n’échappe, pas plus que les autres recours en matière contractuelle, à la règle de non-automaticité entre la reconnaissance du caractère fondé du moyen et ses conséquences sur le contrat : non seulement un motif d’intérêt général peut faire obstacle à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, mais il peut être donné un effet différé à cette fin.

Enfin, les tiers, tels que définis ci-avant, pourront s’en prévaloir immédiatement, la Haute juridiction ayant précisé que ce nouveau recours était d’application immédiate.

CE Sect, 30 juin 2017, SMPAT, n°398445, Rec