Interview de Me Pierre-Yves Nauleau par Mme Aude Camus pour Achatpublic.info
Le régime des offres anormalement basses (OAB) est-il applicable aux concessions ? La question vient d’être posée au Conseil d’Etat. La réponse n’était pas si évidente. Le rapporteur public s’est essayé à un exercice de transposition…
L’affaire concerne une « concession de services portant sur la mise à disposition, l’installation, la maintenance, l’entretien et l’exploitation commerciale d’abris voyageurs et de mobiliers urbains, publicitaires ou non. » Suite à l’attribution du contrat par la commune, le candidat malheureux a formé un référé précontractuel devant le tribunal administratif. Le requérant reproche plusieurs choses à la collectivité. Fait pour le moins inhabituel, il soutient que l’offre du titulaire est anormalement basse, entrainant une erreur manifeste d’appréciation de la commune. Le reproche se fixe sur le chiffrage de mobiliers supplémentaires susceptibles d’être commandés. Il faut préciser qu’il n’est pas prévu de quantité maximale pour ces achats et que certains de ces mobiliers ne généreront pas de recettes, puisque destinés exclusivement à de l’affichage municipal. Le titulaire a chiffré ces éléments additionnels à 1 euro. Le candidat évincé lui, avait prévu la gratuité des 3 premiers et 700 euros pour les suivants.
Une notion à adapter
Le rejet d’une offre comme anormalement basse est prévue dans le code de la commande publique (CCP) pour les marchés. Mais aucune disposition similaire n’est prévue en droit interne, comme européen, pour les concessions, remarque le rapporteur public, lors de l’audience du 12 février dernier. La notion semble a priori peu pertinente pour ce type de contrat où le risque d’exploitation pèse sur le titulaire, explique Gilles Pellissier. Il déduit de la définition posée par l’article L. 2152-5 du CCP que la notion concerne le prix pour les marchés. Elle ne peut donc pas être transposée telle quelle aux concessions. En effet, « le prix versé par l’acheteur ne peut, par définition, qu’avoir un rôle marginal dans l’équilibre économique du contrat et ne peut certainement pas, aussi bas soit-il, en compromettre la bonne exécution. » Pour transposer l’OAB aux concessions, elle doit donc être appliquée non au prix, mais à l’équilibre économique général du contrat.
Pour transposer l’OAB aux concessions, elle doit donc être appliquée non au prix mais à l’équilibre économique général du contrat
« L’offre anormalement basse pour l’obtention d’une concession consisterait à proposer des prestations dont le coût pour l’opérateur est bien supérieur aux recettes de l’exploitation du service. » Cette application serait utile selon Gilles Pellissier, dans un objectif de bonne exécution du contrat, et d’autant plus quand il s’agit de garantir aux usagers la continuité et la qualité du service. Face à une offre « manifestement structurellement déficitaire » l’autorité concédante pourrait ainsi demander des justifications sur la viabilité économique de la proposition et la rejeter si les éléments apportés ne sont pas satisfaisants. Comme il appartient au candidat de mesurer et d’assumer le risque dans un contrat de concession, l’OAB ne pourrait être reconnue qu’exceptionnellement. De plus, le contrôle du juge serait aussi distancié, voire encore plus, que sur un marché public. Gilles Pellissier propose toutefois d’écarter le caractère anormalement bas dans l’affaire qui lui est présentée. « Car […le moyen] ne porte que sur le prix des mobiliers supplémentaires. Il faudrait que les commandes de ces mobiliers non publicitaires à 1 euro soient considérables pour ruiner la société Girod et compromettre la bonne exécution d’un contrat dont elle évaluait le résultat à 230 000 euros, éventualité qui apparaît d’autant plus improbable que les modalités de l’extension du périmètre de la concession doivent faire l’objet d’un réexamen par les parties. »
Pas d’OAB pour les concessions
» […] si la société JC Decaux France soutient que l’offre de la société Girod Médias serait « anormalement basse », la prohibition des offres anormalement basses et le régime juridique relatif aux conditions dans lesquelles de telles offres peuvent être détectées et rejetées ne sont pas applicables, en tant que telles, aux concessions. Au demeurant, il ne résulte pas de l’instruction qu’à supposer que des prestations supplémentaires soient effectivement commandées à la société Girod Médias aux conditions figurant dans son bordereau de prix unitaires, une telle circonstance serait, à l’évidence, de nature à compromettre la bonne exécution de la concession. Par suite, le moyen tiré de ce que la commune de Saint-Julien-en-Genevois aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en retenant la candidature de la société Girod Médias doit être écarté » tranche le Conseil d’Etat.
« Pour moi appliquer les OAB aux concessions c’est nier ce transfert de risque qui est pourtant la particularité de la concession. C’est même ce qui la définit.»
Cette position ne surprend pas Me Pierre-Yves Nauleau (Cabinet Claisse & Associés) pour qui le modèle concessif a ses spécificités. La transposition de l’OAB aux concessions est difficile, pour deux raisons principales. En matière concessive, il ne s’agit pas d’un achat, mais de l’externalisation de la gestion d’un service. Argument repris par le Conseil d’Etat lorsqu’il dispose : « à supposer que des prestations supplémentaires soient effectivement commandées […] aux conditions figurant dans son bordereau de prix unitaires ». Le juge relève bien ici, selon l’avocat, qu’il ne s’agit pas d’un achat et que l’OAB ne peut s’appliquer qu’aux achats.
Seconde différence avec un marché : il y a un transfert de risque sur l’exploitant. « C’est d’ailleurs comme cela que le code de la commande publique distingue les marchés des concessions» relève l’avocat. « Pour moi, appliquer les OAB aux concessions, c’est nier ce transfert de risque qui est pourtant la particularité de la concession, c’est même ce qui la définit. »
Vendredi 06 mars