La Cour de Justice de l’Union Européenne (« CJUE ») consacre un large pouvoir d’appréciation des Etats membres dans la détermination des conditions d’application des cas d’exclusion facultative d’un candidat par le pouvoir adjudicateur.
La CJUE considère qu’une réglementation nationale peut légitimement, d’une part, prendre en compte la condamnation pénale non encore définitive pour un délit affectant la moralité professionnelle de l’administrateur d’une entreprise candidate afin d’apprécier l’intégrité du soumissionnaire, et ce, même si ledit administrateur aurait cessé d’exercer ses fonctions dans l’année précédant la publication de l’avis de marché public, et, d’autre part, autoriser l’exclusion de l’entreprise concernée au motif que celle-ci ne s’est « pas dissociée complètement et effectivement » des agissements dudit administrateur en ne déclarant pas, au pouvoir adjudicateur, la condamnation non encore définitive dont celui-ci a fait l’objet.
Dans cette affaire, la province autonome de Bolzano (Italie) a, en 2013, lancé une procédure d’appel d’offres en vue de l’attribution d’un marché public de travaux à laquelle l’entreprise italienne Mantovani (ci-après « Mantovani ») a participé.
En décembre 2013, Mantovani a déclaré par deux fois au pouvoir adjudicateur que M. B, ex-administrateur de la société ayant cessé ses fonctions le 6 mars 2013, n’avait fait l’objet d’aucune condamnation définitive.
Toutefois, le pouvoir adjudicateur a eu écho de la condamnation de M. B infligée le 5 décembre 2013 et passée en force de chose jugée le 29 mars 2014. Dès lors, il a invité Mantovani à lui fournir des précisions sur cette condamnation, qui a fait valoir que la condamnation de M. B. était devenue définitive postérieurement à ses propres déclarations en décembre 2013. L’entreprise a également précisé que M. B avait été immédiatement démis de toutes ses fonctions de direction afin d’établir une dissociation complète et effective avec l’entreprise.
La province de Bolzano a, cependant, décidé d’exclure Mantovani de la procédure de passation au motif que l’entreprise avait « communiqué de manière tardive et incomplète les éléments démontrant qu’elle s’était dissociée des agissements de son administrateur », ainsi que pour n’avoir pas indiqué, lors de ses déclarations au mois de décembre 2013, « que son ancien administrateur faisait l’objet d’une procédure pénale ayant donné lieu à une condamnation » sur le fondement des dispositions de l’article 38 du décret législatif italien n°163/2006 (point 26 de l’arrêt).
Mantovani a, alors, exercé un recours juridictionnel à l’encontre de la décision d’exclusion. L’affaire est parvenue jusqu’au Conseil d’Etat italien qui a décidé d’introduire une demande de décision préjudicielle auprès de la CJUE, portant sur l’interprétation de l’article 45 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 et de principes généraux du droit de l’Union au regard des dispositions de l’article 38 du décret législatif italien précité.
Plus précisément, il s’agissait de déterminer si la réglementation d’un Etat membre pouvait contenir des dispositions étendant le contenu de l’obligation déclarative des candidats à une procédure de marché public en permettant « au pouvoir adjudicateur de prendre en considération, selon les conditions qu’il a établies, une condamnation pénale de l’administrateur d’une entreprise soumissionnaire pour un délit affectant la moralité professionnelle de cette entreprise, lorsque celui-ci a cessé d’exercer ses fonctions dans l’année qui précède la publication de l’avis de marché public », ainsi que d’exclure ladite entreprise de la procédure « au motif que, en omettant de déclarer cette condamnation non encore définitive, elle ne s’est pas dissociée complètement et effectivement des agissements dudit administrateur » (point 24 de l’arrêt).
La CJUE a ainsi statué sur ce renvoi préjudiciel (conformément à l’article 267 du TFUE).
Dans un premier temps, la Cour a eu l’opportunité de rappeler qu’un renvoi préjudiciel n’est pas irrecevable au seul motif que la Cour aurait déjà statué sur une question analogue, mais ce, à propos d’une situation juridique différente (point 18 de l’arrêt). Par ailleurs, la CJUE refuse de statuer sur une question préjudicielle uniquement s’il apparaît de façon manifeste que celle-ci est dépourvue de lien avec « la réalité ou l’objet du litige au principal », « le problème est de nature hypothétique », ou encore, elle ne « dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions » posées (CJUE, 8 septembre 2015, C 105/14, Taricco e.a., point 30).
Dans un second temps, la Cour a procédé à l’analyse de la question préjudicielle. Elle a rappelé que les Etats membres bénéficient d’une marge de manœuvre dans l’application des causes d’exclusion facultatives de la participation des candidats à un marché prévues à l’article 45 §2 de la directive 2004/18/CE (CJUE, 10 juillet 2014, C 358/12, Consorzio Stabile Libor Lavori Publicci).
Sur la base de ce constat, et concernant la cause d’exclusion facultative prévue à l’article 45 §2, sous c) de la directive (selon laquelle « Peut être exclu de la participation au marché, tout opérateur économique : […] « qui a fait l’objet d’un jugement ayant autorité de chose jugée selon les dispositions légales du pays et constatant un délit affectant sa moralité professionnelle »), la CJUE a considéré que compte tenu du fait que les « personnes morales agissent par l’intermédiaire de leurs représentants », il est pertinent de contrôler si le comportement d’un administrateur est, ou non, contraire à la moralité professionnelle afin d’apprécier l’intégrité d’une entreprise dans le cadre du contrôle, par le pouvoir adjudicateur, de la situation personnelle des candidats (point 34 de l’arrêt).
De plus, la circonstance que l’administrateur, qui aurait eu un comportement contraire à la moralité professionnelle, ait cessé ses fonctions à la date de la présentation de la candidature de l’entreprise est sans incidence (point 37 de l’arrêt). Sur ce point, la Cour a estimé que « la prise en considération d’un comportement fautif au cours de l’année précédant la date de la publication de l’avis de marché public n’apparaît pas disproportionnée » (point 54 de l’arrêt).
Poursuivant son raisonnement, la CJUE a considéré que le droit d’un Etat membre peut parfaitement prévoir que le pouvoir adjudicateur renonce à appliquer cette cause d’exclusion lorsque l’entreprise soumissionnaire lui apporte la preuve, par tout moyen, d’une entière dissociation avec le comportement fautif de l’administrateur. Dans ce cas, et afin de démontrer la satisfaction de cette dissociation, la réglementation peut, alors, légitimement exiger que « l’entreprise soumissionnaire informe le pouvoir adjudicateur d’une condamnation subie par son administrateur, même si cette condamnation n’est pas encore définitive » (point 41 de l’arrêt, ce qui, en l’espèce, est le cas du droit italien).
La Cour a, par ailleurs, précisé que dans la situation où la condamnation n’est effectivement pas encore définitive, l’article 45 §2 sous d) de la directive est « susceptible de s’appliquer » en ce qu’il permet l’exclusion d’une entreprise soumissionnaire qui, en matière professionnelle, a commis une faute grave, constatée par tout moyen dont les pouvoirs adjudicateurs pourront justifier (point 44 de l’arrêt).
Enfin, la CJUE a estimé qu’en vertu de l’article 45 §2 sous g) de la directive, un candidat peut être exclu d’une procédure de passation s’il fait de fausses déclarations, mais également s’il ne fournit pas des renseignements exigibles par le pouvoir adjudicateur. Par conséquent « le fait de ne pas informer le pouvoir adjudicateur des agissements pénalement répréhensibles de l’ancien administrateur » est un élément justifiant l’exclusion d’un candidat (point 48 de l’arrêt).
A la lecture de cet arrêt, il semblerait donc que la réglementation italienne en la matière ait été correctement appliquée au regard de ce que prévoit le droit européen.
CJUE, 20 décembre 2017, C-178/16, Impresa di Costruzioni Ing. E. Mantovani SpA