Le Conseil d’Etat a rendu une décision intéressante en matière d’exécution financière des opérations de travaux, dans la mesure où la jurisprudence n’était pas bien fixée sur la question en litige, à savoir la responsabilité du maître d’œuvre auquel est imputable la réalisation de travaux supplémentaires.
Il est acquis que les travaux supplémentaires, soit parce qu’ils ont été prescrits par un ordre de service, soit parce qu’ils étaient indispensables pour réaliser l’ouvrage dans les règles de l’art, doivent être payés à l’entrepreneur qui les a exécutés (CE Section, 17 octobre 1975, cne de Canari, req. n°93704, Rec.515 ; CE 14 juin 2002 Ville d’Angers n° 219874, T.Rec), quand bien même les modifications apportées à l’ouvrage sont imputables à une erreur de conception commise par le maître d’œuvre (C.A.A. Versailles, 29 novembre 2012, société Chauffage et entretien, Req. n°10VE03203 ; C.A.A. Marseille, 2 février 2015, société Escota, Req. n°12MA01844).
En d’autres termes, alors que dans le cadre des difficultés rencontrées en cours de chantier, la responsabilité (pour faute du moins) du maître d’ouvrage ne peut être engagée « du seul fait de fautes commises par les autres intervenants » (CE, 5 juin 2016, Région Haute Normandie, req. n°352917, T.Rec), le maître d’ouvrage ne parait, en principe, pouvoir invoquer la faute de cet autre intervenant qu’est le maître d’œuvre pour s’exonérer de son obligation de prendre en charge financièrement la réalisation de tels travaux.
Cela ne signifie bien évidemment pas que le maître d’ouvrage doit nécessairement conserver la charge finale du coût de ces travaux.
Déjà, ces travaux, tout à la fois supplémentaires et imputables à une erreur ou une omission du maître d’œuvre dans la conception de l’ouvrage, peuvent normalement amener une réduction de la rémunération du maître d’œuvre en application des dispositions de l’article 30 II du décret n°93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d’oeuvre confiées par des maîtres d’ouvrage publics à des prestataires de droit privé.
La question s’est néanmoins posée de savoir si le coût de ces travaux pouvait être également inscrit au décompte du marché de maîtrise d’œuvre en tant que préjudices subis par le maître d’ouvrage engageant la responsabilité contractuelle du premier. En effet, ces travaux étant indispensables, la question de l’existence d’un préjudice ne va pas de soi.
Les solutions apportées dans des cas d’espèce isolées pouvaient sembler guider par des principes non nécessairement compatibles entre eux.
Par exemple, alors que la Cour administrative d’appel de Nancy avait, dans une décision du 3 mai 2012, Ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer (Req. n°10NC01511) fait peser sur le maître d’œuvre la charge de surcoûts liés à une augmentation des quantités de remblais par rapport aux prévisions (V. dans le même sens, C.A.A. Nantes, 6 novembre 2012, société Site et Concept, Req. n°11NT02701), alors qu’en sens inverse, la Cour administrative d’appel de Bordeaux considérait, dans une décision du 19 juin 2014, que les travaux supplémentaires rendus nécessaires pour pallier la perméabilité des sols devaient, en toute hypothèse, être réalisés, de sorte que leur paiement ne constituait pas un préjudice susceptible d’être supporté par le maître d’œuvre (CAA Bordeaux, 19 juin 2014, Agglomération Cote Basque-Adour, Req. n°12BX01945).
Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat synthétise clairement les règles gouvernant cette question.
La Haute juridiction rappelle qu’en principe, la charge de l’indemnisation de travaux supplémentaires incombe au maître d’ouvrage.
Elle admet néanmoins que ce dernier appelle le maître d’œuvre en garantie lorsque la nécessité de leur réalisation est apparue après la passation du marché de travaux, dans les deux cas suivants :
Premier cas de figure : non seulement les travaux sont imputables à une mauvaise estimation initiale du maître d’œuvre, mais le maître d’ouvrage aurait, de surcroît, renoncé à son projet ou il aurait modifié celui-ci s’il avait été informé en temps utile du coût réel qu’aurait l’ouvrage.
Second cas de figure : une faute de conception (ou encore de suivi du chantier) commise par le maître d’œuvre a entraîné, non seulement la réalisation de travaux supplémentaires indispensables, mais également des surcoûts qui n’auraient pas été exposés sans cette (ou ces) fautes.
Ainsi, le simple fait qu’une erreur de conception ait amené l’indemnisation par le maître d’ouvrage de travaux non prévus initialement ne suffit pas à engager la responsabilité du maître d’œuvre.
CE, 20 décembre 2017, communauté d’agglomération du Grand Troyes, Req. n°401747, T.Rec